Les Clameurs du Silence...
(inédit)

     

Il se réveille avec une douleur qui pousse dans son corps. Le jour pénètre dans la chambre, à peine amorti par les rideaux... Un pied glisse du lit, tâtonne vers le tapis usé jusqu'aux fibres, l'autre retrouve le contact froid avec le sol ... il s'assoit sur le bord du lit, hésite à se lever, reste assis, tête baissée, à fixer le sol ... Essaie de se restituer ... hésite à se recoucher, son buste oscille, une jambe remonte sur le lit ... puis brusquement il se lève, titube quelques pas pour se diriger de mémoire retrouvée vers le long couloir étroit dont il assure le direction en effleurant le mur des deux mains, arrive au fond, ouvre la porte des toilettes ... Pisse, la gorge serrée, le ventre déjà noué, observe le jet, s'égoutte négligemment , revient dans la chambre ... se cadre machinalement devant le miroir ovale au-dessus de la commode en bois jaune ... surpris de s'y retrouver moins déglingué qu'il ne se sentait ... même plutôt bien ...Se passe la paume sur les joues, vérifie l'état de se barbe ... puis se souvient qu'il doit le loyer de la semaine ...Une semaine déjà ... et faut allonger 84 dollars, à 12 la nuit ... pour une chambre coin cuisine qu'il n'utilise pas, même pour le café ...une télé noir et blanc qu'il regarde trop,un frigo vide ... une douche et toilettes au fond du couloir ... En tout cas, un bon total qu'il doit tirer de sa poche ...
Son sac est au sol dans un coin avec les fringues qui débordent, abandonnées là après chaque changement ... et celles qu'il porte sont jetées sur la chaise devant la commode...
Réveillé complètement, il empoigne un paquet de Marlboro, une pochette d'allumettes, allume une cigarette, tire dessus, un goût acre dans la bouche, l'écrase dans le cendrier, se regarde de haut en bas, debout en caleçon de boxeur, torse musclé, à se demander quoi faire ...S'empare de la chemise sur la chaise, l'enfile, le Levi's ensuite, puis s'assoit sur le lit, face à la fenêtre, tire la ficelle du rideau qu'il ouvre d'un coup sec ... Même paysage ... qu'hier, demain ... sale, gris, brumeux ... avec le ballaste du chemin de fer qui plonge pour disparaître au loin vers le lac Michigan ... vers l'ouest, la bande industrielle de East Chicago ... tandis qu'au sud ...il l'imagine s'enfoncer dans les forêts qui s'étendent vers la vaste plaine agricole ... Artères qui relient les hauts fourneaux, symboles de prospérité ... De l'autre coté, il pose son regard sur la route, bordée de maisons d'un étage, deux parfois, en bordeaux en bois aux couleurs délavées, aux fondations en briques peintes rouge, jaune, vert, bleue, indéfinissables ...avec un drugstore, des tavernes, bars, une épicerie, un coffee shop, fast-food ...aux trottoirs déserts a cette heure, rails trop souvent silencieux, cheminées éteintes depuis longtemps au dessus des hauts fourneaux ...Au ciel vide ...
Le motel est sur une hauteur, juste avant l'amorce de cette plongée vers le néant qu'est devenu le paysage, la mort lente qu'est devenue pour lui cette ville avec ses cheminées éteintes, comme un rappel sans issue du chômage descendu sur ses habitants comme une fatalité ... Tout était gris, noir ...amer, humide et visqueux, sentait la mort s'avancer inexorablement ... comme le goût qu'il avait dans la bouche ... et cette douleur venue de nulle part, qui l'envahissait ...comme cette angoisse sourde qui se dégageait du paysage ...Ouais, tout sentait la fin d'une route, d'un tas de vies ...de tout ...Vide ...
Quotidien sans raison ...
Des toux prolongées sur fond de musique et télés déjà allumées, cris de colère ... le ramènent dans la réalité du motel ... vers son quotidien qu'il subissait déjà, trop tôt, trop tard...toujours trop tôt ...Sa montre indiquait six heures trente ... l'aube à peine dépassée ... Cela faisait toute une semaine qu'il se levait à la même heure, habitudes des jours de travail ...qu'il recevait le même malaise en pleine gueule ... Cela pouvait aussi bien être un mois, un an ...il ne le savait plus ... Le motel devenait pendant ce temps de plus en plus sonore, ses voisins invisibles de plus en plus présents et prenaient possession de cet espace devenu sien malgré lui ... comme cette aube incertaine, sans but ... Mais la faim le pousse, il enfile ses chaussettes, bottes à lacets de l'armée, un blouson en denim bleu doublé agneau et dessus un gilet Parka vert ...Rasé ou pas, lavé ...cela ne changeait rien pour l'instant ...Plus tard ... La clef dans la serrure, dans sa poche ensuite, il descend l'escalier trois par trois, s'échappe du lobby vide encore , rempli d'une odeur de tabac acre, de pisse, de bière et de désinfectant ... où trônait un distributeur de Coke grand comme une armoire, une T.V. couleur éteinte, le réceptionniste invisible derrière on comptoir à roupiller, des sofas plastifiés rouges et verts, aux brûlures de cigarettes, leurs montures en chrome écaillé ...et des cendriers sur pied partout…
Dehors, le vent s'empare de lui, le pousse vers la descente ....

RETOUR