L'asphalte est mou sous
mes bottes mexicaines, et on sort de la chaleur étouffante du Subway
à celle de la nuit ouverte, remontant l'escalier du double sous-sol
de la station Broadway-Lafayette qui donne sur la double artère de Houston
Street, avec un trottoir au milieu des deux voies qu'on traverse, mon
compagnon et moi, au milieu des clodos déglingués et camés qui se font
un quarter en essuyant les pare-brise des voitures arrêtées au feu,
tapent une clope à mon pote anglais mince et speed, lui aussi remonté
à l'alcool et qui m'entraîne, cette nuit, dans un club du Lower East
Side, à quelques blocs de là, et qu'on engage sur notre droite, abandonnant
les lumières et la circulation, la ville encore légitime, pour pénétrer
une demi pénombre de rue étroite, Mott Street, avec son église et son
cimetière derrière un mur en briques rouges d'un côté, des maisons d'habitation
-et qui sont encore habitées -du côté du trottoir qu'on longe, et moi,
malgré la chaleur, j'ai accroché par-dessus ma chemise, à mon épaule
gauche, recouvrant ainsi mon bras, un blouson en jeans délavé aux manches
coupées, qui me donne la possibilité de porter dessous un Saturday Night
Special, ce qui me rend plus à l'aise de la sorte, comme de porter et
d'entendre mes bottes sur le bitume, -bottes achetées dans une boutique
du quartier et dont le propriétaire s'est fait braquer un peu plus tard,
tirer une balle en plein visage, pour la recracher et survivre…On arrive
à la première intersection, oasis de lumière du Million Dollar Grocery,
une bodega qui est le dernier relais du coin avant de pénétrer dans
le ghetto de la came, le point central de vente de came, en ce moment,
sur la cote Est… et devant, un petit groupe de Puertoricains, où je
remarque une pute d'une cinquantaine d'années si j'en juge d'après le
visage ravagé, mais qui possède une paire de jambes superbes, à la peau
satinée, deux colonnes intactes supportant une ruine couronnée d'une
coiffure blonde délavée, cheveux courts qui accentuent encore les ravages
du visage aux traits durs mais ce contraste la rend attirante ….
LA CITE DES BARBARES, récit,
142p