27 nouvelles inédites Le Temps Détourné et qui affirment avec force que le Temps appartient à Tous et que la Violence de l'Instant peut-être vécue au simple quotidien.
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Mescalero

Le Pacific North West est encore couvert par endroits d'une vaste Rain Forest que nous pénétrons quelque part le long de la Columbia River le premier jour de notre arrivée dans la région et qui nous absorbe dans une réalité visuelle telle, que j'ai l'impression d'être sous l'effet du mescal. C'est un choc culturel de couleurs, de lumières, d'ombres, de formes qui nous submergent… je vois des corps de femmes nues, je vois des phallus, je vois des têtes d'animaux fabuleux, je vois des serres, je vois des gueules de dragons, je vois un enchevêtrement de troncs, de pierres, de sources qui jaillissent, de plantes, de reflets, d'humidité, de silence épais, de cris déchirants, de craquements longs des arbres, je vois des yeux… des yeux avec toutes les intensités de regards, de toutes les formes et couleurs… que je réalise pour la première fois l'exactitude des peintures de corps des Indiens, l'expressionnisme de leurs masques, de leurs rituels, si près de la nature, qui est cette nature, et plus nous avançons avec précaution, plus nos sens s'habituent, nos pas trouvent l'appui, plus nous nettoyons notre vision, plus nous commençons finalement à entrevoir la possibilité que nous avons perdue, qui est celle de VOIR…
Maintenant que nous sommes dedans, il faut y être complètement… et sur des boulders noirs, polis et glissants sous une cascade, nous enlevons nos chaussures et continuons la progression pieds nus… La forêt nous enivre tout en aiguisant les sens et je ressens le bien -être d'appartenir à un tout, ce qui me donne une force de progression malgré qu'il n'y ait aucune piste à suivre et qu'il faille se frayer un passage avec de nombreuses déviations causées par le terrain et la végétation. Cy est aussi ravie que moi et me signale que nous sommes perdus, sur quoi nous faisons une pause. Se perdre dans la forêt peut devenir dramatique, mais j'ai l'impression que nous sommes en compagnie d'un esprit qui nous voit, nous guide et nous continuons notre marche qui nous mène plus loin, plus profond, pour arriver finalement vers une sortie qui donne sur une route où nous tombons sur une camionnette qui nous ramène vers notre point de départ. Nous réalisons, en roulant, que nous avons passé un sacré temps dans la forêt et en rejoignant notre voiture, je constate que le jour se couche et qu'une heure plus tard, nous étions vraiment perdus.
L'esprit de la forêt nous a été bienveillant à partir du moment où nous l'avons touché pieds nus, ce que je comprendrai plus tard en rencontrant des Indiens, et nous a acceptés en sentant notre manque de peur, sinon nous ne serions jamais sortis indemnes…
Nous rentrons chez nous, dans notre maison en bardeaux, comme toutes les maisons du coin, que nous occupons depuis peu, dépourvue de meubles ou presque, un matelas au sol dans l'une des chambres à coucher, une coiffeuse avec miroir et une chaise, l'autre est vide, on possède aussi deux pièces communicantes avec un porche couvert d'un côté et la cuisine de l'autre qui est équipée, également une salle de bain. Les deux pièces de séjour principales ont un chauffage à gaz, une table et deux chaises. Pas de rideaux, rien de plus… Tous les murs et plafonds sont peints de blanc et cela donne une luminosité exceptionnelle avec de nombreuses fenêtres dans cet endroit de rez-de-chaussée surélevé d'un mètre cinquante de la rue.
Une longue rue bordée de maisons semblables, la nôtre se trouve sur l'intersection de plusieurs rues, en face de nous un bar, plus loin un garage station- service et au coin de la dernière intersection, un vendeur de beignets ouvert vingt-quatre heures, ce qui est une animation de la sorte… Beaucoup de verdure autour des maisons, sauf la nôtre, qui fait coin de rue, du côté de la cuisine une décharge d'ordures, et côté séjour, un passage étroit avec une autre maison et un jardin arrière où notre propriétaire italien, le même que celui de la station- service, cultive des tomates… Tout le long des rues, de hauts poteaux en bois marron transportent d'innombrables fils électriques et des transformateurs, comme des totems qu'on trouve dans toutes les villes à l'ouest de Mississipi. Vision du West, les rues traversées que par de rares voitures, un passant perdu parfois, des Indiens souvent, et le vide sous le soleil, le vide sous les pluies diluviennes qui s'abattent sur la région…
J'aime m'asseoir sous le porche, jambes étendues sur la rambarde, Stetson sur la tête et me demander quoi faire de la journée pendant que Cindy travaille dans un grand resto assez select, le seul avec une clientèle choisie au centre de cette ville, et parfois je fais à pied des kilomètres pour la retrouver après son travail, le soir ou la nuit, ce qui me permet de traverser les entrepôts des trains de marchandises le long de la Columbia, endroit peuplé de clochards des rails, avec leurs cercles autour des feux et qui me laissaient le passage libre…
Je passais donc beaucoup de temps sur mon porche, en compagnie de notre jeune chienne Lucie, très sauvage, qui cassait souvent son attache et allait vadrouiller dans le quartier, très espiègle et joueuse mais pas une très bonne gardienne. Je l'ai eue chez des Indiens encore toute petite, belle, orange et blanche, un Border Collie, chien de berger, mais là, tout ce qu'elle faisait était d'attirer des meutes de mâles quand elle était en chaleur, surtout un, qui venait lui faire la cour, et ils se roulaient sur la pelouse, gambadaient, lui très gentil avec elle, très protecteur, énorme, un genre de bâtard Labrador, puissant, elle toute menue à côté, et après, plus aucun autre mâle ne pouvait l'approcher, le sien veillait sans conteste… Alors, quand lui venait la chercher, je la détachais et la laissais partir en vadrouille et il la raccompagnait toujours…
Pourquoi nous étions dans l'Oregon, je ne sais pas, nous aurions pu nous arrêter n'importe où aussi bien que continuer notre route, de même à Portland, mais enfin, nous étions là et cela nous suffisait. Cindy connaissait des gens dans la ville mais elle en connaissait partout… La ville me fascinait autant qu'elle m'assommait par moments, mais c'était une expérience nouvelle et cela aussi me suffisait. Pour commencer, c'est à Portland que j'ai acheté mes premiers sneakers, enlevant ainsi mon habitude de ne porter que des bottines mexicaines de cavalier, et j'ai du m'adapter un certain temps pour pouvoir y marcher, ne sentant ni n'entendant le sol sous mes pas…
C'est également dans cette ambiance que je me suis mis à écrire mon premier livre, entre le porche et le séjour vide peint en blanc. Ce séjour possédait également une cheminée mais elle tirait mal et après deux essais, nous y avons renoncé, complètement enfumés, malgré la beauté du feu dans cet espace vide, ce qui donnait une impression de campement ouvert… En face, à la station -service, et comme nous étions dans le West, j'avais un spectacle de voitures anciennes qui défilaient, des superbes Studbakers, Chevrolets, Thunderbirds, Cadillacs, Pontiacs des années cinquante et soixante, à perdre les yeux…
On peut les perdre aussi dans l'espace de la ville, ses avenues longues et larges bordées de maisons individuelles avec jardins amples, trottoirs avec pelouses, la Columbia qui pénètre en pleine ville et reçoit des bateaux du Pacifique, ce manque de foules ou de voitures, tout accentue cet espace qui se transforme en vide selon l'humeur.
Un jour, celui de l'anniversaire de Cindy, nous décidons d'aller sur la côte, d'abord une traversée de la grande forêt qui la longe pour émerger vers une étendue immense au milieu de laquelle se dressent des falaises isolées avec de la végétation au sommet, comme des îles oubliées par l'océan, et la plage sauvage parsemée d'arbres fossilisés et de troncs échoués… Paysage d'estampes orientales sur un océan qui n'a rien de pacifique, des houles énormes viennent s'écraser sur les falaises, s'étendre sur le sable et prolonger l'étendue infinie de l'horizon… L'espace s'affirme ici, imprègne le caractère des habitants, renforce l'individualité, ce qui me convient, moi qui aime autant la foule que la solitude. Le sentiment de liberté est présent partout et joue dans les relations humaines, très peu de choses sont demandées pour un travail sinon de travailler, peu d'argent pour louer et qu'on paye ensuite à la semaine, on vit le présent d'une manière immédiate, une plénitude du moment s'impose, chaque jour est nouveau, chaque moment est unique et chaque population existe, cohabite, même si elles s'ignorent, ont un espace pour s'exprimer… Tous peut-être sauf les Indiens qui sont le moins chez eux, une méfiance et même une agressivité envers eux due probablement à la culpabilité que ressentent les descendants des colonisateurs et génocidaires, et étant incapables de résoudre ce sentiment, admettre leur culpabilité, ne font que maintenir un racisme dont ils sont finalement les victimes aussi.
Sur un marché d'artisanat local, un grand Indien, cheveux longs, est justement en face du stand que j'examine aussi, il prend un bijou à la main pour entendre la vendeuse blanche lui gueuler dessus de ne pas les toucher. Comme pris en faute, il le repose… J'interviens en gueulant à mon tour sur la vendeuse, la traitant de raciste, lui rappelant que c'est des bijoux indiens qu'elle vend et que ce type est dans son pays, et pendant que l'Indien surpris s'éloigne prudemment, malgré sa carrure, tous ceux alentour me fixent dans un silence incertain, hostile, mais comme ils me voient déterminé, personne ne dit rien, ni la vendeuse… puis elle se retrouve et appelle à ma solidarité de Blanc, " c'est pas ton affaire ", à quoi je lui réponds pas, puis je m'en vais, une autre vision de la région s'imprègne en moi, un sentiment plus réservé envers certains habitants du coin… .
Un jour, une amie de Cindy qui travaille dans un fast food vient nous voir. Très belle californienne, élancée, de belles jambes avec des genoux bien marqués, cheveux blonds bouclés, un visage charnel, dotée d'une énergie joyeuse et bondissante, me propose de prendre du mescal. Elle a un paquet qu'elle m'abandonne sur la table, puis les deux filles décident d'aller rouler et je reste seul dans le blanc de notre maison avec un soleil éclatant dehors qui écrase les ombres, le vide de la maison qui se prolonge avec celui de la rue toute en longueur que traverse de temps en temps une voiture… Et un silence qui s'étire dans le temps, envahit tout l'espace…
A travers le paquet en plastique transparent je vois des rondelles, je l'ouvre, elles sont séchées, j'en prends une, la mâche et l'avale, allume une cigarette, vais sur le porche, m'installe, observe, attends un effet, le temps coule, je ne ressens rien, attends, vais prendre un autre morceau, la chienne dort dans sa niche, tout est tranquille, je suis en attente, une autre cigarette, le temps passe, un autre morceau…
J'attends… Lentement, puis soudain, la luminosité augmente… comme s'il n'y en avait pas assez… les couleurs s'estompent et tout devient écrasé sous une lumière blanche… Vision très crue, détaillée… même au loin… et cette lumière crue… est intense… Je sais que je monte maintenant à une vitesse prodigieuse… et cela ne ressemble pas du tout à mes sensations sous LSD, ni au speed, ni à la petite fumée… Ni à rien vu ni rêvé auparavant… Pourtant, j'ai eu des voyages très visuels… Là non… ce n'est pas visuel, tout le corps et tout l'esprit sont engagés dans cette lumière seule… qui s'accentue, me mène vers un blanc absolu… Il me faut réagir que je me dis, sans paniquer, sans rien d'excessif, au contraire, ne pas essayer de retenir quoi que ce soit, encore moins de s'accrocher… Rester fluide, me laisser aller… prendre le courant… garder l'esprit dans le flot de cette montée, tandis que mon corps, je le sais, lui, tiendra le choc… Puis, à ma surprise, j'ai une envie féroce de faire l'amour… Dans l'état où je suis !… et du porche où je me trouve, sur ma gauche, en haut de la rue, à plusieurs centaines de mètres, je vois une femme qui tient un gosse par la main et qui avance doucement dans ma direction… Je suis à l'ombre, je sais qu'elle ne peut me voir… et je la fixe intensément, la vois de près comme avec une jumelle et… elle est désirable… S'avance doucement… Pris de panique qu'elle me voie dans l'intensité de mes sens, sans parler de l'expression de mes yeux, je rentre dans le séjour… Le reste de la rue et du croisement sont absolument vides… J'allume une autre cigarette dont je ne ressens pas la fumée, un temps long puis un temps court passe et je tourne la tête et la vois dans le passage entre les deux maisons qui mène au jardin de tomates, debout avec le gosse tenu à la main, et qui me fixe à travers le vitre qui nous sépare, à portée de main… On se fixe ainsi un moment, puis le fait qu'elle est avec le gosse fait que je ne l'invite pas, me détourne comme si elle n'était pas là, et un instant après, me retourne… Ni femme ni enfant dans le passage… Je sors sur le porche… disparus dans toutes les directions étendues que je vois… Nulle part… personne…
La montée se poursuit stimulée par cette rencontre et… je me décide à sortir… descends le porche, prends à gauche, en direction des rails, des entrepôts, du pont qui travers la Columbia, pour aller au centre ville… Idée folle mais que je ne contrôle pas… J'entends Lucie qui aboie car je la laisse… et je m'éloigne de plus en plus… C'est un trajet de plusieurs kilomètres et il me faut une heure en temps normal pour le parcourir… Là, je ne sais plus… J'avance, traverse des rues vides, des entrepôts où des wagons solitaires roulent doucement, venus de nulle part, passe le pont et l'hôtel juste à côté où un marin fait le va -et- vient, absent dans ses pensées, un cargo soviétique est amarré pas loin, étrange de le voir ici au milieu des terres américaines, puis j'arrive dans le quartier des bars, vitres sur rue, longs bars avec miroirs sur fond de bouteilles, individus solitaires qui leur font face, silencieux, un rite important s'établit ici, la recherche d'un oubli, d'une rencontre, de rien, je me demande s'ils se regardent dans le miroir, s'ils se voient, lumières aux néons tamisées, beaucoup d'ombre, fraîcheur conditionnée, je passe… repasse devant de nombreux liquor stores aux comptoirs de vente protégés par des vitres pare-balles, quelques hobos traînent devant des tattoo parlors, croisements de rues avec à chaque angle un bar, pas possible de se tromper de direction et dans ce croisement, un Indien ivre le traverse en biais, trois chapeaux encastrés sur la tête… Je remonte une rue qui plonge vers le business centre et dans la descente, dans la lumière, dans le vide, tout le quartier est désert, et pas un bar, café, rien, je vois se dessiner une silhouette de femme en arrêt, aux hanches bien marquées, vêtue de noir, une casquette sur la tête et elle est belle et j'allume une clope et elle me voit venir et je lui fais un signe auquel elle répond, je la vois sourire et elle me fait face et arrivé à son niveau je lui lance si elle a du temps à offrir, oui qu'elle répond et je suis ravi… quand je réalise qu'elle porte un colt à la ceinture et je fais un pas en arrière, m'excuse de l'avoir abordée et m'éloigne, la vois surprise, me fait signe de revenir mais je suis incapable de lever une femme flic dans mon état que je me dis et je continue ma descente de rue et me retourne plusieurs fois et elle me suit du regard, n'a pas bougé de sa place… et je me dis que merde, je ne suis pas bien dans ce trip, cela ne devrait pas m'arriver une réaction pareille, mais je continue ma route… Vieilles paranos, préjugés qui reviennent ainsi gâcher tout… Pourtant aucune parano n'est sans fondement chez moi, il est vrai que je suis entré aux USA avec un vrai visa obtenu à Vancouver au consulat américain, sur un faux passeport obtenu chez un ami à Milan, sans dire que si je m'étais fait prendre, j'allais en prison, et que le suspense a duré quelques heures, fallait laisser le passeport et revenir plus tard le chercher, et qu'en plus, ils m'ont dit que c'est une exception car il fallait obtenir ce visa au point de départ, à savoir en Europe, hum… et le premier essai s'est soldé par un échec, nous étions montés dans une camionnette avec des Chinois, eux légaux, qui transportaient quelque chose entre Vancouver et Seattle, mais comme nous étions les seuls européens, ils nous ont repérés à la frontière et refoulés et en plus, dès la première semaine de notre séjour ici, je suis allé déguisé en touriste, avec ce passeport, changer des faux travellers chèques que j'ai eu six ans avant chez des amis italiens à London et qui m'ont rapporté $1800,nous qui sommes arrivés fauchés sur la West Coast… tout en me faisant arnaquer au taux de change dans une banque locale d'environs $50 que j'ai laissé faire, très amusé au fond… Baiser le Système a toujours été un plaisir à quelque niveau que ce soit… Alors, si je rate la femme flic, ce n'est pas pour rien et cela prouve que malgré l'intensité du mescal, je contrôle ma divagation à travers la ville comme ma présence ici… Se laisser aller et ne pas se perdre est un signe fort que je ressens en continuant mon chemin… Arrive dans le down-town, je passe devant un lobby d'hôtel, quelques machines automatiques à soda, une télé, fauteuils occupés par des vieux en attente de plus rien, et assis contre le mur verdâtre,et sur une chaise… Jimmy Hendrix… quelqu'un qui lui ressemble comme une photo d'époque… côté fringues également, et moi qui ai vu Hendrix à Isle of Wight derrière le scène où je campais avec mon mini bus… je suis fasciné par sa présence ici, immobile, inaperçu, dans ce lobby, ce qui fait que je décide de hitch- hike un retour chez moi, me place sur une avenue en direction de mon retour et attends une voiture qui veut bien passer et me prendre… Peu de voitures, beaucoup de soleil, ma lumière s'est stabilisée, j'ai des accélérations mais sans dérapages, je suis bien… Une longue caisse ralentit, s'arrête plus loin, une brune de type italien au volant, mince, gueule typée, ouvre la portière, porte un jeans serré et fendu aux chevilles, des mules, sort de la caisse pour que je la voie, est petite, maquillée, ongles longs, me parle, quelle direction ?, je lui réponds, elle m'invite à monter, regagne son siège, retire à la main une puis l'autre mule, se met à conduire… La caisse est large, longue, une Cadillac années soixante, confortable, elle parle pas mal, fume, est du type énergie électrique, me plaît, je lui indique les directions verbalement, prononce mal ou quoi… en tout cas elle ne comprend pas ou s'amuse, mais on se paume dans des rues aux maisons toutes pareilles, arbres, pelouses, croisements, poteaux électriques, tout se ressemble, elle pousse la caisse, on roule, elle parle, je l'observe, il fait chaud, elle me fait bander, tout va bien… The West is the best… comme le dit Jim Morrison… Grâce à elle et ses arrêts pour acheter des cigs, des sucreries, des sodas, je redescends un peu, assez pour apprécier notre ballade qui va je ne sais où… pour finir dans un arrêt imprévu où elle se tourne et me demande ce que je veux d'elle… Te faire l'amour que je lui réponds, ce qui semble la détendre et la rassurer, elle me propose d'aller sur le bord de la rivière, un coin qu'elle connaît… et pourquoi pas et nous roulons vers un inconnu qu'elle semble connaître… Du sable fin nous accueille entouré de verdure, le vide, avec un flot puissant du fleuve noir, menaçant, froid, qui passe à une vitesse… on ne fait aucun préliminaire, c'est une empoignade sauvage de sa part qui me débarrasse de mes fringues violemment et se jette comme un félin sur sa proie… Je me laisse faire car je sais que je suis bien, et où elle me mène je veux l'atteindre… Une vraie femme avec tempérament qui se donne bien mais qui sait prendre aussi, et toutes les initiatives et même celles auxquelles je ne m'attendais pas… ou si peu… Son énergie électrique est bien là, mais c'est une énergie qui me vitalise au lieu de me fatiguer, pas comme certaines femmes qui prennent l'énergie sans rien donner en retour, et c'est ce dont j'ai besoin en ce moment… Puis, je me glisse en rampant dans l'eau là où elle est peu profonde et le choc froid me paralyse au point de me tuer… et me redescend doucement de mon mescal qui s'écoule… s'écoule avec le flot tandis que les couleurs reviennent… tout reprend sa place…
Elle finit par trouver ma maison et me déposer devant mon porche avec une Lucie folle de joie… Je pénètre dans le blanc de la maison, les deux filles sont là, bien en relief dans ce blanc… et mon mescal repart, peut-être de les voir, les entendre rigoler sur mon compte, me parler, bouger, en tout cas elles me déversent un tas de trucs… m'ont-elles vu descendre de la voiture ?… ce que j'ai de drôle je ne sais pas, je leur réponds sans plus savoir, elles s'énervent, puis je m'énerve, ça monte et je suis prêt à tout, même les tabasser quand la copine… Samantha Fairchild propose d'aller chez elle, oui en ce qui me concerne si je peux l'appeler Sam tout simplement, ce n'est qu'un détail mais qui compte pour moi en ce moment, et on embarque dans sa voiture pour rouler encore… Le long de la route Sam devient Sasa et c'est moi qui rigole et elles me trouvent puéril et ce n'est pas moins drôle car une fille aussi bondissante doit porter un nom rythmé… Assis à l'arrière, je m'offre le spectacle par les vitres, la ville devient plus campagnarde, maisons plus espacées, elles devant parlent, pas trop, je vois le visage de Sasa qui est un soleil, elle me fait penser à un personnage de bande dessinée ou une pub pour le corn flakes, très saine, lumineuse, très California beach… manque plus qu'une chanson des Beach Boys,' California girls' et on y est, mais nous n'y sommes pas et c'est tant mieux, j'exagère un peu mais je mets ça sur le compte du mescal et de cette randonnée qui nous amène à sa maison, un grand rez-de-chaussée entouré d'arbres, pièces aux baies vitrées, des chiens joyeux qui nous accueillent, une cheminée… sa salle de bains qui ouvre sur le jardin arrière avec un arbre et une balançoire… je peux l'imaginer dans sa baignoire sortant nue sur le gazon et comme si elle avait lu mes pensées, une fois installées dans la grande pièce elle va prendre un bain et du canapé je peux la voir se glisser dedans et ma femme lui parle, assise à côté de moi, cherche une musique qu'elle met et je m'affale dans le sofa et ramasse de l'herbe que je roule et fume et les chiens on les met dehors, ils sont trop joyeux à mon goût et Sasa plane de me voir planer sur elle et tout va bien… et je me lève pour aller la regarder dans la baignoire et elle rigole et je veux y entrer, ce qui la fait pouffer, me repousse, me repousse pour sortir, nue et superbe debout, dégoulinante, s'enroule d'une serviette et vient rejoindre Cindy sur le canapé et je les rejoins et me mets entre les deux… et cela les amuse, elle se font des signes par-dessus… puis me passent la fumée et je tire…
Dehors, la nuit est descendue, les vitres renvoient une image en miroir noir de nous qui ajoute une touche étrange à cette scène et le feu dans la cheminé est allumé et c'est la seule lumière virevoltante dans la pièce et par la porte ouverte je vois la salle de bains avec une ampoule qui éclaire la baignoire blanche à pieds de félins sous une lumière artificielle statique, irréelle, qui se prolonge sur le gazon de la pelouse par la porte ouverte et je dis merde aux surréalistes qui n'ont rien à comparer avec ce que mes yeux voient… Notre monde à nous, hors temps… est le flot de nos esprits réunis… avec le mescal et la fumée…
Le mescal nous guide enlacés tous les trois au lit dans le silence de la nuit clouée d'étoiles où glissent nos rêves…


Portrait en mouvement (et en 10 minutes) par LUST
© Dragan Babich. Tous droits réservés